Des savoir-faire menacés
Les acteurs de la broderie font état d’un regain de la pratique et d’un engouement populaire, qui s’inscrivent dans une mode globale des loisirs créatifs et du fait-main. Et la demande en matière de formations (cours et stages) connaît d’ailleurs une forte augmentation depuis les années 2010. Cependant, des nuances sont à apporter.
Cette vitalité ne touche pas toutes les techniques de la même manière. Le picot, par exemple, ne bénéficie pas du même engouement que les diverses techniques de broderie aujourd’hui enseignées et pourrait être menacé de disparition car son utilisation habituelle pour la création de napperons, gants, chemisiers… ne correspond plus aux goûts actuels. Par ailleurs, les praticien∙ne∙s éprouvent plus de difficulté à trouver un usage contemporain à des techniques telles que la broderie sur tulle et le filet noué et brodé, bien que certaines personnes déploient beaucoup d’imagination dans ce domaine.
De plus, le renouveau de la broderie n’est pas homogène sur l’ensemble du territoire. Les pays nantais et rennais, en particulier, bénéficient moins de la dynamique de transmission et de création actuelle, tandis que la Cornouaille et, dans une moindre mesure, le Vannetais, concentrent une grande partie des brodeur∙se∙s et des dentellièr∙e∙s.
À noter également que si les savoir-faire de la broderie et de la dentelle ont été sauvegardés, la profession de brodeur∙se est quant à elle dans une situation délicate. Aujourd’hui, très peu de personnes vivent de leur savoir-faire, et celles qui le font gagnent difficilement leur vie. Les professionnel∙le∙s ne peuvent se faire rémunérer à la hauteur des heures de travail sous peine de ne pas trouver d’acheteurs, ce qui fait de la broderie une activité peu rentable. En effet, rares sont les personnes disposées à consacrer d’importantes sommes à l’achat de pièces brodées. La broderie est donc bien vivante mais, paradoxalement, très peu de personnes en vivent.
De manière générale, bien qu’un grand nombre de personnes s’adonnent à la broderie et à la dentelle, cette pratique reste relativement invisible. La part importante du travail bénévole, invisible car non comptabilisé et non médiatisé, est à la fois ce qui a sauvé le savoir-faire à l’époque critique où il a failli disparaître et la raison pour laquelle l’ampleur de la pratique est aujourd’hui méconnue et sous-estimée.
Enfin, si la diversité des lieux d’enseignement est garant de la diversité des approches, cette offre reste cependant fragile car peu de personnes enseignent la broderie à l’heure actuelle. Et certains lieux de cours ne reposent que sur la bonne volonté d’un seul enseignant bénévole. Si d’aventure les possibilités d’apprentissage venaient à se réduire, il existerait alors un risque qu’une vision prévale sur les autres au détriment d’une diversité.