Les baies de Cancale et du Mont Saint-Michel sont des lieux propices à l’élevage et à l’affinage, en surélévation en milieu découvrant pour les huîtres creuses et en eaux profondes pour les huîtres plates. Les huîtres creuses se plaisent généralement dans des eaux de moindre profondeur aux fonds rocheux ou vaseux, à condition qu’elles trouvent les coquilles ou graviers pour se fixer, de préférence dans des baies, des anses ou des estuaires. Les marées leur apportent l’oxygénation suffisante, car, si elles sont habituées à supporter l’exondation, c’est-à-dire le fait que la mer se retire, il ne faut pas que celle-ci se prolonge trop longtemps. Cancale était le lieu propice pour développer l’ostréiculture, qui démarra au début du XXe siècle autour de savoir-faire spécifiques de captage et d’élevage de plus en plus structurés, sachant qu’il faut trois à quatre années d’élevage de l’huître pour qu’elle soit commercialisable.
La qualité de l’eau
La qualité de l’huître de Cancale vient de celle des eaux de la baie, fortement brassées par de puissantes marées. D’importants travaux ont été effectués récemment par la Ville pour améliorer la station d’épuration amenant la qualité des eaux de Cancale au meilleur niveau. Les eaux où sont élevés les coquillages font l’objet d’une surveillance permanente par les réseaux de surveillance de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), pour le compte de l’État, qui renseignent les conditions sanitaires des zones de production. Les résultats de cette surveillance sont utilisés par les autorités publiques pour gérer les zones de production conchylicoles et protéger la santé des consommateurs. Les ostréiculteurs réalisent eux-mêmes des autocontrôles et des contrôles des produits mis sur le marché pour la consommation.
La reproduction des huîtres
Les huîtres creuses
La reproduction des huîtres a lieu tous les ans, pendant l’été. Les huîtres creuses, portugaises ou japonaises, après la maturation sexuelle au printemps et au début de l’été, expulsent dans l’eau les cellules reproductrices mâles (spermatozoïdes) et femelles (ovocytes). Après la fécondation, les œufs deviennent des larves, soumises immédiatement aux mouvements des courants de marée. Quelques jours après, les larves sont munies d’une petite coquille naissante et d’un velum (voile), qui leur permet à la fois de nager et de capter leur nourriture. Cette phase larvaire dure environ trois semaines, au terme de laquelle l’animal mesure un tiers de millimètre et est prêt à s’accrocher sur un support favorable. En plus du velum, un pied permet à la larve de chercher son habitat définitif et de s’y fixer en secrétant un ciment. Ce nouveau mode de vie s’accompagne d’une métamorphose, le pied et le velum régressent puis disparaissent, des branchies et des palpes se forment pour assurer la captation de la nourriture et son acheminement vers la bouche. La vie vagile de l’huître n’aura donc duré que trois semaines et l’animal sessile est accroché à son support. Cet animal nouvellement fixé se nomme naissain.
Les huîtres plates
La reproduction de l’huître plate (Ostrea edulis) est sensiblement différente car la fécondation des ovocytes s’effectue dans l’huître, entre les valves, et non pas à l’extérieur, dans l’environnement. L’huître plate garde ses larves pendant une dizaine de jours avant de les expulser. Cette différence dans la stratégie de reproduction des deux espèces d’huîtres reflète aussi des habitats légèrement différents. L’huître plate vit dans un environnement légèrement plus profond et plus éloigné de la côte que l’huître creuse. Les variations de salinité y sont plus faibles et les fonds plus sableux, plus graveleux.
Le captage de l’huître
La culture des huîtres commence par la récolte du naissain, ensemble des jeunes huîtres fixées sur un support naturel ou artificiel. Cette opération, dite « captage », se fait l’été à une température de 21° C pour que les larves ne meurent pas. Elle consiste à disposer des collecteurs sur des parcs de captage, afin de récupérer les naissains et de les mettre en élevage. Les collecteurs sont placés dans des bassins de reproduction, en Charente-Maritime, à Marennes Oléron, à Fouras et à Arcachon pour les creuses, et dans le Morbihan, pour les plates, du fait de conditions environnementales adaptées. Les larves se collent sur des tubes collecteurs, soit sur une coupelle ou sur des huîtres chaulées, dans les Charentes, ou sur des tuiles chaulées à Arcachon, ou en eau profonde sur des moules pour les plates. Puis, une fois captées, elles sont récupérées par les ostréiculteurs. Des ostréiculteurs naisseurs ont pour activité de récupérer les larves et d’autres les récupèrent sur des collecteurs sur place.
L’élevage
Les huîtres creuses
Les jeunes huîtres sont séparées des collecteurs entre six et neuf mois, puis elles vont poursuivre leur croissance dans des poches. Stéphane, ostréiculteur à Cancale, achète ses jeunes huîtres à des naisseurs, les élève et les amène à terme. Celles-ci, placées dans des poches rigides de petites mailles, sont alors installées dans des parcs abrités, en tenant compte des courants et des vents, afin de permettre leur croissance dans les meilleures conditions. Laissées sur les collecteurs au bout de deux ou trois mois, elles ont pris 3 à 4 millimètres. Les collecteurs sont ensuite mis dans des poches et attachés sur tables, le mieux étant de les décoller avant pour les mettre dans les poches, en cas de grosse prise au
vent. Ses bancs sont néanmoins situés à l’abri des flots au nord-est de la baie de Cancale.
Après 18 mois, elles sont disposées dans des poches sur des tables surélevées, soit 10 000 huîtres pour Stéphane.
Entre 18 et 24 mois, elles sont ainsi mises dans des poches à gros maillage, exemple des n°3, de 66 à 85 g. Une grille interprofessionnelle a été adoptée pour la commercialisation et la taille marchande est fixée à 30 g. La grille définit le nombre d’huîtres par colis selon un calibre allant de 1 à 5. Les huîtres sont couramment consommées jusqu’à 150 g.
Ainsi, entre deux et quatre ans, il faut régulièrement dédoubler les poches, pour les amener à 250 huîtres par poche, en triant dans celles à mailles plus ou moins grosses. Elles sont régulièrement triées selon la grosseur. Entre chaque étape de dédoublage et de cryptage, il faut retourner les poches, soit 15 manipulations pendant cette période de travail tout en force. L’équipe de Stéphane et de ses associés (15 personnes sans compter les saisonniers au printemps et l’été) chaussent leurs bottes tout au long de l’année pour poser, attacher et retourner les poches, emballer, expédier pendant les fêtes de Noël. Au printemps, le plancton arrive et l’eau, de bleue, devient verte, période durant laquelle les huîtres se réveillent, se nourrissent et grossissent. Les plus petites sont mises à l’abri. En fin d’année, l’équipe pêche et calibre les huîtres en surveillant la grosseur des dentelles de la coquille, puis dédouble au printemps. Stéphane trie ainsi 35% des huîtres à Noël et le reste dans l’année. Les poches sont retournées régulièrement pour favoriser le coffrage soit l’épaisseur et le durcissement de la coquille. Les huîtres sont contrôlées, triées et remises successivement dans des poches adaptées à leur taille, afin qu’elles puissent grossir en profitant pleinement du renouvellement du plancton. Cette pratique d’élevage les protège des prédateurs, favorise la circulation de l’eau, l’apport en flore et micro-organismes divers. Sur 100 huîtres qui naissent, 20 à 25 survivent. Arrivées à maturité, elles sont récupérées, calibrées et stockées au dépôt pour les faire durcir. Elles se contraignent alors à rester fermées, car elles n’ont plus d’eau pendant 15 jours à 3 semaines et, supportant l’exondation, elles gardent l’eau à l’intérieur de leur coquille et toute leur fraîcheur.
Les huîtres plates
L’élevage s’est déplacé en mer, où les huîtres sont semées à densité réduite (100 individus conseillés au m²), afin de limiter les atteintes parasitaires et favoriser une croissance plus rapide, pour une vente à l’âge de 2 à 3 ans. Richard, ostréiculteur, élève des huîtres plates. Il possède à Cancale une concession de 110 ha et une autre dans le Morbihan pour le captage des naissains dans la baie de Quiberon et de Brest ; 80 % viennent de la baie du Mont-Saint- Michel. Les naissains nés en juin 2018 ont été semés en avril-mai. Richard emmène des casiers de naissains sur coupelles chaulées provenant du Morbihan pour faire des semis en mer. Il fait des semis tous les jours, récupérés le matin à Quiberon, puis semés dans la journée avec un équipier, soit un million de semis par hectare. Une surface de mer est identifiée pour chaque semis. Le parc d’huîtres est en eau en permanence. Chaque matin, Richard récupère les naissains dans le Morbihan, puis les sème en baie de Cancale grâce à son bateau amphibie. Chaque jour, il règle ses câbles pour pêcher les huîtres et pour draguer les « crépidules », coquillages parasites, qui étouffent les huîtres plates, apportés par des bateaux américains lors du Débarquement. Il passe les trois derniers mois de l’année à récolter les huîtres plates, Noël étant la période pleine. Mais la récolte est de plus en plus faible. Sur ses deux cents jours passés en mer chaque année, 80 % de ses dimanches sont occupés et la moitié du temps est passée à ramasser des « crépidules ». La relance de l’élevage d’huîtres plates a été impulsé avec la coopérative conchylicole dans les années 1960. Créée après 1963, année de grande mortalité des huîtres plates, elle proposa d’ensemencer en eaux profondes en mixant les bancs naturels avec des huîtres d’élevage, favorisant ainsi la production en Bretagne dans les baies de Cancale et de Quiberon. Elle oscille actuellement autour de 2000 tonnes.
Tri et lavage
Les huîtres sont apportées des parcs au centre de tri en remorque, en fonction des marées, de leur taille et des besoins de l’ostréiculteur. Elles sont aussitôt trempées dans des réserves remplies d’eau de mer. L’eau de mer est pompée directement dans la baie pour le lavage et le triage, elle alimente également le bassin de purification, ou les huîtres seront trempées pendant 48 h pour les rendre plus propres, enlever les microparticules par un filtre. Elles sont mises dans des bacs afin d’améliorer le process de purification. Toutes les huîtres creuses et plates sont calibrées. Elles sont disposées dans des bacs d’eau de mer (pour être lavées), elles remontent sur le tapis roulant de la machine trieuse. En amont de la machine, une personne va réaliser un premier tri pour enlever les mauvais coquillages.
Les huîtres sont calibrées 1 à 5 et classées suivant leurs poids à l’aide d’une calibreuse qui pèsent chacune d’entre elles. Cette étape est réalisée pendant les trois ans de production. Les huîtres sont classées en fonction de leurs poids à chaque étape de son cycle, puis remisent dans des poches avec une densité différente suivant l’avancée de son cycle. Les huîtres marchandes sont posées une à une dans 1 compartiment, puis pesées, puis distribuées dans des bacs différenciant le calibre de chaque huître.
Traçabilité
Toute la marchandise est tracée et répertoriée. Lorsque les palettes de poches d’huîtres arrivent, celles-ci sont immédiatement calibrées et classées en catégorie de forme, de taux de chair, etc. Toutes les données sont parallèlement répertoriées sur informatique concernant, par exemple, les virages de poches, les contrôles de poids : 30 000 poches retournées neuf fois et localisées. Tout ce qui concerne la traçabilité de l’huître est saisi, pratique avant- gardiste mise en œuvre par l’entreprise de La Famille Boutrais depuis douze ans, en raison de l’exigence de la clientèle, en particulier celle de la grande distribution. Elle se traduit sur l’étiquette qui comprend : la désignation du produit, la provenance, la date d’emballage, le numéro du centre d’expédition, le calibre, le poids, le nombre d’huîtres à l’intérieur et les coordonnées de l’éleveur pour chaque colis.
Conditionnement et expédition
Pour tout type de commande, les huîtres sont systématiquement mises en bourriche à la main, où elles sont rangées une à un. Si elles sonnent creux, c’est qu’elles ne sont pas étanches et sont remises en eau pour faire de la coquille. Le colis est envoyé sur un tapis roulant, puis cerclé de rubans en plastique, un colis contenant au minimum douze pièces. Les coquillages sont placés dans des emballages fermés et étiquetés pour la commercialisation afin d’assurer la traçabilité auprès des consommateurs. L’étiquette est obligatoire et doit rester en place jusqu’à l’étal de vente [http://cnc-france.com/La-qualite.aspx]. Elle comprend la marque sanitaire (l’identification et le numéro de l’établissement d’expédition agréé ainsi que la date de conditionnement), la mention « Ces coquillages doivent être vivants au moment de l’achat », le pays d’élevage, le poids, le numéro du calibre et le nom de l’espèce en latin. Une fois fermé, le colis rejoint une palette dédiée à un client et un transporteur. Les livraisons locales sont effectuées par une équipe de l’entreprise, qui livre les restaurants, les poissonneries, les épiceries fines. Les particuliers sont livrés par Chronopost.
Les ostréiculteurs commercialisent également leurs huîtres en vente directe, dans les marchés ou chez les restaurateurs. Pour l’huître plate, certains la vendent aux ostréiculteurs qui n’ont pas assez de production.
Les qualités sensorielles et organoleptiques des huîtres de Cancale
Les qualités sensorielles de l’huître
Les huîtres plates, de formes arrondies à chair ferme et blanche, nuancée de gris ou de brun sont généralement consommées vivantes, sans préparation culinaire et sont particulièrement fermes et iodées, avec un arrière-goût de noisette propre à la cancalaise. « C’est une huître à chair ferme, qui se mange aussi bien crue que cuisinée. Une explosion d’iode ainsi qu’une sensation doucement salée qualifient la Cancale » [témoignage de Emmanuel Tessier].
Les qualités organoleptiques de l’huître
Elle est particulièrement riche en vitamine B12, en cuivre, en fer, en zinc et en plusieurs autres nutriments. Remplie d’Oméga-3, elle offre des effets bénéfiques sur la santé cardiovasculaire. L’huître bénéficie d’une teneur en lipides plus élevée que pour d’autres fruits de mer. Elle est davantage source de vitamines A et D et est de surcroît peu calorique : 60 calories pour 100 g. Elle apporte des protéines de qualité et de nombreux éléments très utiles à l’organisme. On lui associe donc des bienfaits revitalisants, reconstituants voire thérapeutiques.
Fine ou spéciale ? Au-delà du goût, les huîtres sont appréciées différemment selon leur taux de chair, leur couleur, la forme de la coquille, la taille, ou bien par le mode et le lieu de culture faisant référence à une région ou un site. L’huître dite « spéciale » est définie par son indice de chair. Sur 100 % de l’animal (coquille comprise), on compte plus de 10,5 % de chair. Ce sont les plus charnues. On peut reconnaître une huître spéciale à sa forme de goutte et à sa concavité bien spécifique : la coquille est plus creuse et plus arrondie. C’est une question d’affinage : les huîtres sont placées dans des eaux moins salées et plus riches en plancton, des bassins argileux, de faible profondeur, où l’huître peut acquérir une belle couleur verte. La spéciale est affinée pendant au moins quatre semaines, contrairement à la « fine » (moins de 10 % de chair), qui est affinée au moins 28 jours entre novembre et fin mars. La « fine » est connue pour son goût salin. La « spéciale » est beaucoup plus douce, charnue et longue en bouche. La « fine de claire » a un taux de chair est inférieur à 10 % et affinée en « claire », un bassin creusé par l’homme dans une zone marécageuse subissant l’effet des marées.