Pratiquée depuis plusieurs siècles par les populations littorales, la collecte du goémon a participé à l’essor de l’économie bretonne et représente encore aujourd’hui une activité professionnelle à part entière. On distingue l’activité embarquée et mécanisée des goémoniers professionnels, qui ciblent les espèces de laminaires, de la récolte à pied traditionnelle et manuelle des algues de rive. L’activité goémonière est une pratique ancrée dans le passé qui continue à évoluer.

L’histoire et la culture maritimes du territoire breton sont largement marquées par l’activité goémonière ; de fait il existe sur ce thème une multitude de témoignages, d’écrits et d’actions de valorisation scientifiques, touristiques etc. sur le sujet (voir « valorisation » et « documentation »). La présente fiche du patrimoine culturel immatériel ne prétend pas faire référence en la matière ni faire preuve d’exhaustivité : il s’agit, en condensé, de rendre compte des éléments récoltés au cours de la recherche, en renvoyant dès que possible vers les sources et liens utiles et en s’appuyant également sur des enquêtes et témoignages déjà réalisés. La fiche se veut être une « porte d’entrée » vers le monde goémonier.

 

Lieu d’exercice

C’est en Finistère Nord, dans le pays du Léon, entre la baie de Morlaix et la rade de Brest, que l’activité goémonière est la plus importante, faisant de la Bretagne la première région productrice d’algues de France depuis le XIXe siècle.

En 2011, 90% de la production nationale vient de Bretagne, essentiellement du Finistère, soit 71000 tonnes : 65000 sont récoltées en mer par 35 navires goémoniers, 6000 sont récoltées à la main (1).

Sur ces côtes, baignées par la Manche et la Mer d’Iroise, les champs d’algues sont les plus étendus et les plus riches du littoral Atlantique ; le champ algal breton recèle à lui seul plus de 600 espèces de ces végétaux marins. La côte finistérienne est bordée de fonds rocheux faiblement immergés et animés de forts courants, deux facteurs propices au bon développement des algues.

L’archipel de Molène, à l’extrême ouest de la Bretagne, est le champ d’algues le plus vaste d’Europe et assure à lui seul près de 40% de la production nationale des laminaires (2).

Bénéficiant de sa proximité avec l’archipel, le port de Lanildut, est le premier port de déchargement du goémon d’Europe : 35 000 tonnes d’algues y sont débarquées chaque année (soit les 3/5e de la production française) (3). D’autres ports comme Plouguerneau ou Roscoff (Ile de Batz) participent également à la pêche goémonière sur le secteur littoral ou vers les îles.

Les grèves et les fonds bretons sont particulièrement riches en algues marines. Ces végétaux marins, appelés « goémon », constituent une ressource naturelle que les populations littorales de la région et particulièrement du Nord Finistère ont largement utilisée dans un cadre domestique et industriel.

Pendant des siècles, le goémon était ramassé sur les grèves (goémon épave) ou coupé sur les rochers à marée basse (goémon de rive) : séché, il s’utilisait comme combustible, comme engrais ou pour l’alimentation animale permettant de pallier au manque de terres cultivables et compléter les revenus des paysans. Toute la famille participait à cette pêche à pied.

À partir du XVIIIe siècle, la récolte s’est intensifiée puis professionnalisée pour les besoins des industries qui trouvèrent dans les cendres du goémon brûlé une importante matière première : la soude dont on extrayait l’iode (utilisée en pharmacie). Les premiers goémoniers professionnels partaient alors en bateau récolter le goémon de fond, des laminaires riches en iode, avant de les emporter à l’usine qui se chargeait de les transformer.

Les années 1960 marquent un tournant pour l’activité goémonière. Les pratiques traditionnelles se transforment rapidement avec la modernisation des bateaux et des outils. La récolte en mer prend le pas sur la pêche à pied afin de fournir les industries alimentaires et pharmaceutiques en alginates. (gélifiants).

Aujourd’hui, l’activité goémonière – en mer et à pied – s’exerce essentiellement dans le cadre professionnel, mais toujours au rythme des marées. Malgré de profondes mutations, elle s’inscrit dans la continuité de pratiques anciennes, fortement ancrées dans l’identité du territoire. De nouveaux usages apparaissent : les algues, longtemps réservées aux champs et à l’industrie, deviennent un mets raffiné, à cueillir et à déguster. L’évolution de ces usages est le témoin des profonds changements de cette société littorale.

Le goémon (en breton bezhin ou bijin) est le nom donné aux algues marines, brunes, rouges ou vertes récoltées sur le rivage ou en mer en vue de leur exploitation. Les plus connues sont les fucus et les laminaires.

Les goémoniers sont les pêcheurs de goémon. C’est également le nom du bateau utilisé pour la récolte des algues.

La récolte du goémon est une activité réglementée depuis des générations. L’ordonnance de la Marine de Colbert de 1681 (complétée par un décret de 1868) distingue trois types de goémon : d’épave, de rive, de fond .

La pêche à pied :

  • Le goémon d’épave : Ces algues échouées sur les plages après les coups de vent étaient traditionnellement ramassées au râteau sur les grèves pour amender les jardins ou nourrir le bétail. C’est la récolte la plus simple et certainement la plus ancienne, ouverte à tous. A partir du XVIIe siècle, toutes les espèces sont ramassées puis triées : les unes pour l’agriculture, les autres pour l’usine. Depuis les années 1970 les goémons épaves ne sont plus utilisés que par certains cultivateurs et leur ramassage est marginal.
  • Le goémon de rive : Ce sont les algues (fucales et gigartinales) poussant sur les rochers et îlots découverts à marée basse et que l’on atteint à pied sec. Les algues sont coupées sur l’estran à la faucille ou au couteau, parfois à l’aide de canots ou de drômes (sorte de radeaux à goémon). Historiquement c’est la coupe la plus importante, ouverte à tous les habitants des communes littorales, lors des grandes marées. Depuis 2009, la pratique s’est réduite aux seuls professionnels (4). Parmi les espèces récoltées, il s’agit essentiellement du « goémon noir » dit « bezhin-du » en breton, utilisé comme fertilisant et du « pioka », « lichen » ou « petit goémon » (chondrus crispus), récolté à pied lors de la saison estivale, pour les besoins de l’industrie alimentaire ( carraghénanes (gélifiants) (5).
  • Une douzaine d’algues alimentaires (haricots et laitues de mer…) complètent aujourd’hui la récolte des algues de rive pour les besoins des entreprises ou restaurateurs.

La pêche embarquée :

  • Le goémon de fond : Ce sont les algues poussant en-dessous du niveau de basse-mer, essentiellement les laminaires (la laminaria digitata dite « tali ») pêchées en bateau. Leur récolte est réservée aux goémoniers professionnels au statut d’inscrit maritime depuis 1853. Elle est née au XIXe siècle des besoins de l’industrie (soude et iode) et constitue la récolte la plus importante aujourd’hui : les alginates, ces gélifiants extraits des algues, sont employés dans de nombreux domaines : industrie agro-alimentaire, textile, papeterie, peintures, cosmétiques…

Une récolte traditionnelle jusqu’aux années 1960 (6).

De mai à septembre des familles entières récoltaient le goémon sur les grèves ou plus au large, en canot goémonier, à voiles ou avirons.

La coupe se faisait à la force des bras : la guillotine, sorte de faucille au long manche, était employée en bateau avant d’être remplacée en 1961 par le skoubidou manuel (inventé par Yves Colin), un outil en forme de crochet avec une manivelle au bout du manche, permettant un mouvement de rotation qui arrachait les algues.

Débarquées sur la grève, les algues étaient chargées à l’aide du croc à goémon sur des civières et des charrettes tirées par les chevaux qui remontaient alors vers les dunes. Elles y étaient étendues pour le séchage, puis stockées en tas avant d’être brûlées dans des fours à goémon, creusés à même la terre. Les « pains de soude », obtenus à partir des cendres du goémon, étaient vendus aux industries qui en exploitaient l’iode. Dès les années 1930, les industriels viennent directement sur les dunes chercher les algues en camion pour procéder eux-mêmes à l’extraction de l’iode.

 

À partir des années 1970 : modernisation et mécanisation des outils de travail

  • Le bateau goémonier est un navire de 10 à 12 mètres motorisé.
  • Le skoubidou hydraulique (1971) est installé sur les navires au bout d’un mât articulé. En pêche, il plonge vers les laminaires, le crochet entortille les algues et les arrache de la roche. Le mât est alors relevé et les algues sont directement chargées dans la cale. Cette technique s’est généralisée et modernisée au fil des années. Elle cible les espèces Laminaria digitata (en eaux peu profondes).
  • Le peigne norvégien est une drague traînée sur les fonds, utilisée en Mer d’Iroise depuis 1995, qui cible la Laminairia hyperborea, en eaux profondes.
  • Depuis 1978, le goémon est vendu « vert » (frais) aux usines qui se chargent de son séchage et conditionnement. Le déchargement du goémon se fait par grue, directement sur les quais, dans des camions destinés aux usines de transformation.
  • La récolte à pied reste artisanale : coupé au couteau et à la faucille, le goémon est mis dans des sacs, puis chargé à l’aide de canots à moteur, de tracteurs ou de brouettes.

Produits réalisés (7)

Le goémon récolté est trié, séché ou brûlé avant d’être utilisé.

 

Usages domestiques traditionnels

– Combustible : jusqu’à la Seconde Guerre-Mondiale, le goémon était ramassé sur les grèves puis séché en vue de constituer une réserve de combustible pour l’hiver.

– Engrais : le goémon d’épave et de rive (sur tout le « goémon noir ») a longtemps été utilisé pour fertiliser les terres. Aujourd’hui cet usage s’est réduit.

– Alimentation animale : la palmaria palmata, en breton bezhin-saout (ou bijin-saout), « goémon à vache » a été couramment utilisée pour la nourriture des animaux ; aujourd’hui on en retrouve dans des farines à base d’algues.

–  Alimentation humaine : il n’y a pas de tradition alimentaire liée à l’algue en Bretagne, excepté le pioca, « petit goémon » (chondrus crispus), chauffé dans du lait pour en faire du flan. Aujourd’hui, une bonne partie de nos aliments contient des algues sous forme de dérivés : carraghénanes et alginates .

 

Usages industriels : agroalimentaire, pharmaceutique, cosmétique…

– La soude (carbonate de sodium) : fournie par la cendre du goémon, la soude est utilisée par les manufactures du verre aux XVIIe -XVIIIe siècles.

– L’iode : découverte en 1812, l’iode, issue des cendres du goémon, devient la principale production destinée à l’industrie pharmaceutique du XVIIIe siècle jusqu’aux années 1950.

– Les carraghenanes : sont des gélifiants alimentaires issus du chondrus crispus (pioca), la production industrielle démarre au début du XXe

– Les alginates : née au début du XXe siècle, la production d’alginates prend son essor à partir années 1960 et constitue encore aujourd’hui le principal débouché pour les algues (laminaires) en Bretagne. Les alginates (gélifiants) sont utiles à de nombreuses filières et présents dans de nombreux produits alimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques…

 

Nouveaux usages et perspectives

L’algue représente un débouché intéressant pour :

– la filière « bio » (agriculture, cosmétique, alimentaire, bio carburant etc.)

– la filière alimentaire : éveil de l’intérêt pour l’algue comme « légume » et les produits à base d’algue (terrines, thé…). Le développement de la culture de l’algue, l’algoculture, est envisagé dans le but de développer un marché de l’algue alimentaire.

– l’algue est aussi utilisée pour la décoration des étalages de poissonnerie, les bourriches d’huîtres, les plateaux de fruits de mer etc.

Les goémoniers embarqués : « Passion, besoin et tradition » (E.L., goémonier de Porspoder) (8)

Le milieu goémonier est un secteur d’activité très masculin, le métier se transmet de père en fils ou entre les hommes membres d’une même famille, souvent partagés entre l’activité d’agriculteur et de goémonier, à l’exemple de E.L. : son métier, il l’a appris de ses parents, mi- paysans et mi-goémoniers depuis quatre générations.

L’activité goémonière a longtemps permis aux populations littorales et aux îliens (îles de Batz, Callot, Molène ou Ouessant) d’exercer une activité professionnelle au plus près de leur lieu de résidence. La plupart des goémoniers du littoral migraient sur les îles proches pour y faire la saison : « En mars 1936 à 13 ans, j’embarquais sur le bateau avec mon père pour aller faire la saison goémonière à l’île d’Ouessant. Pour aller aux îles il fallait envoyer tout le matériel nécessaire pour travailler » (goémonier de Plouguerneau (9)).

Malgré la mécanisation des outils, le métier de goémonier est demeuré un métier difficile, confrontant les hommes aux éléments, aux mauvaises conditions météorologiques. De plus, la médiocrité des gains et la saisonnalité de la pêche ont longtemps imposé à ceux qui pratiquaient ce métier une autre source de revenus ; encore aujourd’hui, le goémonier se consacre souvent à d’autres petites pêches en parallèle (10). Cette dureté du métier et sa relation privilégiée avec la nature et les éléments en font un métier qui reste valorisé dans l’imaginaire collectif et inspire un certain respect, tout comme celui de pêcheur.

Malgré ces risques, c’est un métier de passion : il arrive fréquemment que les goémoniers continuent d’exercer leur métier après avoir dépassé l’âge de la retraite. Et de transmettre cette passion de génération en génération :

« Goémonier ? Je l’étais avant de marcher. Ma mère m’a mis au monde dans un canot! C’était un travail tellement dur. Et pourtant, mon rêve était de le faire. J’ai eu cette chance ! » (goémonier de Plouguerneau) « La moitié de sa vie est partie avec le goémon. Pendant ses temps de congés, il allait toujours au goémon. » (femme de goémonier)

À côté de l’activité professionnelle embarquée, essentiellement masculine, les grèves étaient en revanche occupée par l’ensemble de la population qui s’occupait du déchargement des bateaux : les goémoniers, mais aussi les paysans, les pêcheurs, les retraités y trouvaient un complément d’activité. Les femmes et enfants s’occupaient de décharger, d’étaler et de sécher les algues sur les dunes.

« Le bateau arrivait et chacun reconnaissait son bateau. (…) Les hommes chargeaient dans la charrette et les femmes coupaient et faisaient des tas. C´était des charrettes qu´on devait basculer.» (goémonière).

 

La pêche à pied, une pratique traditionnelle qui perdure dans un cadre réglementé (2009)

La pêche à pied du goémon de rive était pratiquée par l’ensemble de la famille : le « bezhin-du » (goémon noir en breton) était revendu comme engrais, le « pioka » ou « petit goémon » comme gélifiant alimentaire. Longtemps ouverte aux populations littorales, cette récolte est devenue par la suite un job d’été pour les jeunes ou un gagne-pain pour les retraités lors des grandes-marées.

« Dès l’âge de 10 ans, on allait aux grandes-marées, le matin avant d’aller à l’école…» (ancienne goémonière de Plouguerneau). E.L. faisait ainsi le « p’tit goém’ » avec ses parents, ce qui lui permettait d’avoir de l’argent de poche pour le dimanche. La famille se rendait sur la grève où une surface leur était attribuée à la courte paille.

Cette pêche à pied, manuelle, s’est perpétuée de générations en générations : plusieurs de nos interlocuteurs, habitants du littoral de 30 à 60 ans, se souviennent avoir ramassé le pioka pendant leur adolescence. Elle se pratique encore aujourd’hui dans un cadre professionnel notamment pour les besoins des filières alimentaires et cosmétiques.

En marge de ces activités réglementées, quelques particuliers ou cultivateurs bio gardent l’habitude de ramasser le goémon échoué pour amender leur jardin ou leur potager.

L’usage traditionnel des algues en Bretagne, attesté au Moyen-Age est certainement antérieur. Les saints bretons venus de Grande-Bretagne évangéliser la péninsule armoricaine dès les Ve-VIe siècles auraient « apporté avec eux l’usage des algues (pour se chauffer, se nourrir, engraisser les terres)»(11). Il est néanmoins probable que les algues aient été utilisées dès le Néolithique par les populations littorales trouvant sur les grèves une ressource facilement accessible et exploitable.

L’usage domestique des algues est lié au mode vie des populations côtières et insulaires. Le Léon est une région de paysans et de marins. La population de l’Arvor (en breton « la Mer ») procède d’une économie mixte, relativement pauvre, qui s’équilibre par une exploitation conjointe des ressources maritimes et agricoles. Le goémon utilisé comme engrais bezhin du (goémon noir), aliment pour les animaux bezhin ar saout (goémon à vaches), ou combustible était avant tout un produit agricole, à l’usage des paysans.

Les premiers usages industriels des algues en Bretagne remontent au XVIIe siècle. La production de soude à partir des cendres d’algues destinée à la fabrication de verre fut bientôt suivie par la production d’iode au XIXe siècle. De nombreuses industries fleurissent à cette époque tout le long du littoral faisant appel à une importante main d’œuvre goémonière qui se professionnalise. Le terme de « goémonier », lié au développement de l’industrie, est attesté à partir de 1922 pour désigner l’activité et à partir de 1930 pour désigner les bateaux.

Malgré cette industrialisation, l’activité goémonière n’a commencé à se moderniser que dans un passé très proche. « Vers 1960, le métier de goémonier demeurait identique à ce qu’il était au siècle précédent »(12).

Les années 1970 marquent un tournant radical pour l’activité ; aux modifications des besoins de l’industrie s’ajoutent une évolution du matériel et des mentalités.

La production d’alginates à partir des algues supplante définitivement celle de soude et d’iode et représente encore aujourd’hui le principal débouché pour les algues en Bretagne. Cette utilisation permet de maintenir la demande en goémon de fond (laminaires) et amène les goémoniers à envisager de nouvelles techniques qui contribueraient à rendre plus efficace la récolte des algues.

Après la motorisation progressive des bateaux à partir de l’après-guerre il faut attendre 1971 pour que naisse véritablement la flottille moderne, équipée du skoubidou hydraulique, technique qui s’est généralisée et modernisée au fil des années.

Ces nouveaux bateaux plus performants, aux rendements plus importants demandent une moindre main d’œuvre. Le métier de goémonier décline : c’est un métier vieillissant que les jeunes hommes fuient : incertain et saisonnier, il ne permet pas toujours de gagner correctement sa vie. La plupart se lancent dans une activité complémentaire permettant de travailler toute l’année comme la récolte de coquilles Saint-Jacques.

Les goémoniers bretons, qui étaient 3 000 en 1945, ne pêchent plus que sur 62 bateaux en 1999 et 35 en 2013 (13). Les navires sont aujourd’hui équipés d’un ou deux skoubidous hydrauliques ou du « peigne norvégien » (drague traînée sur les fonds). Le goémon est chargé dans les camions à l’aide d’une grue, directement sur les quais, puis acheminé vers les usines de transformations (il en existe une cinquantaine en Bretagne dont Cargill à Lannilis et Danisco à Landerneau (14)).

 

Quelques chiffres sur l’évolution de la récolte d’algues

Pays du Léon (Finistère Nord) Tonnages récoltés (en poids sec)
Dates Récoltants Laminaires Goémon de rive Goémon épave
1957 617 3230 5400 5000
1982 75 8250 2400 40

 

Bretagne Tonnages récoltés (en poids humide)
Date Navires récoltants Laminaires Goémon de rive Goémon épave
2011 35 65000 6000

 

 

Malgré ces nouvelles technologies et la hausse des demandes d’algues, l’avenir des goémoniers n’a jamais été certain ; « mais leur récolte d’algues est plus que jamais d’actualité et indispensable à nombre de filières agroalimentaires, cosmétiques, pharmaceutiques, paramédicales et autres. » (Écomusée des goémoniers, Plouguerneau).

L’activité goémonière est en pleine reconversion : de nombreux projets autour de la gestion des ressources et du développement de la filière algue sont en cours.

 

Soucis de gestion des ressources

Face aux problématiques actuelles du développement durable et de la gestion des ressources, l’activité reste très surveillée. L’Ifremer et le Parc Naturel Marin d’Iroise ont notamment lancé un projet de cartographie du champ d’algues pour estimer la biomasse en place ainsi qu’une étude sur l’impact du  peigne norvégien (ou drague) sur les champs d’algues.

Les algues vertes, issues des pollutions agricoles en amont, font également l’objet de réflexions sur leur possible exploitation (bio carburant, papeterie etc.).

 

« L’algue dans l’assiette, un nouvel Eldorado » (15)

Il n’y a pas de tradition culinaire de l’algue en Bretagne – excepté le pioca dont on faisait du flan. Au mieux les algues ont-elles pu servir d’aliment de substitution, en période de manque. Un proverbe bigouden dit d’ailleurs : « à Penmarc’h quand la pêche ne va pas, on mange du goémon ».

Le dégoût des algues (« gluantes, visqueuses, nauséabondes ») est vivace chez la plupart des personnes vivant près de la mer (16) et l’algue n’est consommée qu’assez marginalement par des consommateurs “bio”, des amateurs de produits locaux ou originaux, des grands chefs (17).

Ce n’est que depuis peu que cette répugnance fait place à un appétit nouveau, largement conditionné par des démarches de sensibilisation et de stratégies marketing autour du slogan « mangez des algues! ». L’algue comme légume représente un potentiel de développement énorme selon certains.

La culture de l’algue (aquaculture) qui ne représente actuellement qu’une infime partie de la production (50 tonnes/an) serait à développer dans cette perspective. L’idée est néanmoins débattue.(18)

La récolte des algues alimentaires (une douzaine d’espèces), cueillies à la main puis nettoyées et conservées fraîches ou transformées par les entreprises sous forme de tartare, de pâtes, de condiments… intéresse particulièrement les filières « bio ».

L’algue, comme produit du « terroir », est vantée pour ses vertus culinaires et diététiques. Des balades découverte des algues suivies d’ateliers dégustation sont régulièrement organisées (par l’Algopôle de Roscoff ou l’Ecomusée de Plouguerneau par exemple) mettant le consommateur en contact direct avec le produit : « on marche sur un garde-manger! ». Les recettes à base d’algues et les cours de cuisine rencontrent un nouveau succès : salicornes au vinaigre, tartares d’algues etc. sont des aliments de choix. De la même manière, le goémon est désormais source de bien-être, de beauté,   de   santé   :   thalassothérapies   et   cosmétiques   aux   algues connaissent un succès grandissant. Bien qu’elle ne puisse se réclamer d’un usage traditionnel, l’algue comme aliment est associée à la culture locale et devient un produit « entre tradition et modernité ».

« Je souris, le goémon donné hier aux vaches, « bezhin saout », est aujourd’hui à la pointe de la modernité. La gastronomie en est friande. » (Tourisme en Bretagne).

Cueillir et manger des algues constitue en quelque sorte un retour à la nature : « la culture s’efface, la nature se libère (19)». Plus l’élément est naturel, facilement identifiable et accessible plus il paraît sain et bon pour soi. Ce nouvel intérêt est révélateur du grand écart de nos sociétés industrialisées qui, dans la course à la modernité, se sont complètement détachées de la nature et qui aujourd’hui, dans une sorte de réaction inverse, essaient de recréer ce lien, plus ou moins artificiellement.

 

– Plaquette

– Guide

– Portes-ouvertes

– Exposition

– Festival

– Site internet

– Boutique

– Foire/ Salon

– Label

– Réseau de professionnels

– Autre : fête, atelier, stage, visite guidée…

Actions de valorisation patrimoniale et touristique

On assiste à une forte valorisation patrimoniale et touristique d’un métier aujourd’hui en perte de vitesse et en reconversion. La disparition ou la mutation d’un savoir-faire ancien engendre souvent, en réaction, une « redécouverte » de la pratique sous l’angle patrimonial. Une certaine vision romantique de l’activité goémonière continue d’imprégner notre imaginaire et les discours touristiques et journalistiques s’en font l’écho.

Musées et écomusées des communes littorales invitent les visiteurs dans le cadre de visites guidées, « routes des algue », sorties en bateau ou fêtes des goémoniers à « découvrir ces hommes et ces femmes, leur métier ainsi que les paysages dans lesquels ils ont toujours évolué » (Pays des Abers). Les sites internet et brochures des pays touristiques, les blogs d’associations et d’historiens locaux relatent l’« épopée » des goémoniers à travers les âges et valorisent le dur métier des « moissonneurs de la mer » qui récoltent l’ « or noir breton » (Tourisme en Bretagne).

Bien que le métier soit aujourd’hui moins attractif, il reste cependant fortement ancré dans l’imaginaire et valorisé touristiquement ; le passé goémonier donne lieu à une forte revendication identitaire aujourd’hui, notamment en « Pays pagan » ou au « Pays des abers » en Finistère Nord, «ces goémoniers et goémonières, durs à la tâche et chaleureux à l’image du pays dont ils ont contribué largement à forger l’identité » (Pays des Abers).

Il existe une variété de structures et d’actions de valorisation autour de la récolte du goémon, à buts culturels, scientifiques ou économiques. Parmi celles en Finistère nous pouvons citer :

 

Valorisation patrimoniale

Algopôle – Centre de découverte des Algues – Le comptoir des algues (Roscoff, 29) : nombreuses animations : sorties découvertes, cuisine aux algues, rencontres de biologie marine etc. Le comptoir des algues propose des produits cosmétiques et alimentaires à base d’algues. http://www.algopole.fr/accueil.php

Écomusée de Plouguerneau (29) : collecte et sauvegarde de la mémoire goémonière, exposition, animations : fêtes des goémoniers, découverte de l’estran, atelier de cuisine aux algues… http://www.ecomusee-plouguerneau.fr

Haliotika – La Cité de la Pêche (Le Guilvinec,29) : centre de découverte, propose des ateliers pédagogiques et culinaires, sorties, dégustations… http://www.haliotika.com/

Maison de l’Algue de Lanildut (29) : musée, lieu d’exposition, propose un circuit de découverte des algues et du métier de goémonier. http://lanildut.pagesperso-orange.fr/tourisme/maisalg.html

 

Valorisation scientifique et études du milieu

Parc Naturel Marin d’Iroise (Le Conquet, 29): vise à la connaissance et à la protection du milieu marin ainsi qu’au développement durable des activités maritimes sur son territoire, qui s’étend de Ouessant au nord à l’île de Sein au sud. http://www.parc-marin-iroise.gouv.fr/

Plusieurs organismes étudient actuellement les algues, entre autre l’Ifremer de Brest (http://wwz.ifremer.fr/institut), l’Institut Universitaire d’Etudes Marines (IUEM http://www- iuem.univ-brest.fr/), l’Université Européenne de Bretagne (projet de recherche IDEALG), le Centre d’Etude et de Valorisation des Algues de Pleubian (22) (http://www.ceva.fr/) et la Station Biologique du CNRS de Roscoff (http://www.sb-roscoff.fr/)

 

Cadre institutionnel

L’activité goémonière dépend de la Direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA) au Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie ; du Comité Régional et du Comité Départemental des Pêches Maritimes ; de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (ex. Affaires Maritimes). Ces institutions gèrent les licences délivrées aux goémoniers et déterminent la période de récolte qui s’étend en général de mai à octobre pouvant aller de février à décembre pour certains navires. L’Ifremer et le Parc National Marin d’Iroise assurent un contrôle scientifique de la gestion des ressources sur le secteur.

 

Valorisation commerciale et industrielle

La Chambre Syndicale des Algues et des Végétaux Marins, organisation professionnelle, regroupe les entreprises de valorisation et de transformation des algues et plantes de bord de mer. http://www.chambre-syndicale-algues.org/?Accueil

Bretagne développement innovation

Filière algues : programme Breizh’ALG, relatif au secteur de l’algue alimentaire et de l’algoculture http://www.bdi.fr/notre-action/agriculture-agroalimentaire

 

Notes :

  1. Bretagne Culture Innovation (BDI), Etude de Marché/ algue alimentaire, sept. 2012 [en ligne]
  2. Parc Naturel Marin d’Iroise [en ligne]
  3. Maison de l’Algue, Lanildut
  4. Une autorisation administrative est à demander auprès de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer. Cf. Récolte des algues de rive, Guide de bonnes pratiques, à télécharger [en ligne], site du Parc Naturel Marin d’Iroise
  5. le reportage de Tébéo, Télé Bretagne Ouest, Le pioca, une algue qui fait vivre une économie, 24 septembre 2013.
  6. le documentaire de 1969, Les goémoniers, Lampaul-Plouarzel (29), [en ligne], L’Ouest en Mémoire, Ina.fr
  7. ARZEL, Pierre, Etude sur le droit coutumier relatif à la récolte du goémon dans le Léon, CNEXO-COB, 1983.
  8. Les résidences documentaires de la Cinémathèque de Bretagne [en ligne]
  9. Écomusée des goémoniers de Plouguerneau [en ligne]
  10. ARZEL, Pierre, « Les goémoniers du Léon. Du séchage des algues aux pains de soude », in Ar Men, n°7, 1987.
  11. PRIGENT, Guy, « Les mille et un visages du littoral », Le Finistère, In vmf, juillet 2013, n°250, p.38.
  12. ARZEL, Pierre, « Le bateau goémonier. Naissance d’une flottille moderne », in Le Chasse-Marée, n°30, 1987, p.2.
  13. Pierre Arzel et le Journal des entreprises (cf. bibliographie)
  14. Bretagne Culture Innovation (BDI), Etude de Marché/ algue alimentaire, sept. 2012 [en ligne]
  15. Titre d’un article de presse régionale (Ouest-France entreprise, 6/12/2012)
  16. D’après Marie-Armelle BARBIER, « Manger des algues, entre répulsion et attraction », In Regards Croisés, 2003
  17. L’express.fr Spécial Bretagne. L’algue culinaire entre dans les moeurs [en ligne]
  18. Journal des entreprises : « Divergence autour de la culture d’algues », [en ligne], 1/02/2013
  19. J-J. Boutaud cité par BARBIER-LE DEROFF, Marie-Armelle, op.cit., p.462

– Étude de marché et d’opportunité économique relative au secteur de l’algue alimentaire en France, en Europe et à l’International, Bretagne Développement Innovation (BDI), Programme Breizh’Alg, sept. 2012 [en ligne]

– Inventaire du patrimoine culturel des communes littorales des Côtes d’Armor, Conseil Général des Côtes d’Armor (22), par Guy Prigent, 2009 [en ligne]

 

Articles et ouvrages historiques et ethnologiques

ARZEL, Pierre, Les Goémoniers, Douarnenez : Éditions Le Chasse-Marée, 1987 / « Le bateau goémonier. Naissance d’une flottille moderne », in Le Chasse-Marée, n°30, 1987, pp.2-15 / « Les goémoniers du Léon. Du séchage des algues aux pains de soude », in Ar Men, n°7, 1987, pp.36-57 / Étude sur le droit coutumier relatif à la récolte du goémon dans le Léon, CNEXO-COB, 1983, [en ligne]

BARBIER-LE DEROFF, Marie-Armelle, « Manger des algues…entre répulsion et attraction », in Regards étonnés…De l’expression de l’altérité…à la construction de l’identité, mélanges offerts au Professeur Gaël Milin, Brest : Ed. Les amis de Gaël Milin, 2003, pp.455-468

CHAPPÉ, François ; LE BOUËDEC, Gérard, (dir.), Représentations et images du littoral, Actes de la journée d’études de Lorient du 22 mars 1997, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 1998 (coll. Histoire)

CHASSÉ, Claude, « D’hier à demain les algues et nous », in La santé et la mer en Bretagne, Rennes : Institut culturel de Bretagne, 1997

LE GOFFIC, Charles, « Les faucheurs de la mer », in La Revue des deux mondes, Nov 1906

MOIGN, Annick, « Installée dans ses méthodes artisanales, la profession goémonière a peut-être trouvé un moyen de survivre », in Norois, n°47, 1965, pp. 364-368

PAILLARD, Bernard, « À propos du brûlage de goémon : la soude ; du natron à la soude de varech », Plozarch, Carnets, Plozévet en quête d’enquêtes, 28 janvier 2011 [en ligne]

PHILIPPE, Manuelle, Récolte des algues de rives, Guide de bonnes pratiques, 2011 [en ligne]

PRIGENT, Guy, « Les mille et un visages du littoral », in vmf (revue des vieilles maisons française), juillet 2013, n°250, p.38

De La VILLEFROMOIT, Marc, « Les algues : un des vecteurs de développement de la Bretagne », in Bretagne 2000, ss. Dir. ELEGOET, Fanch, Rennes : Tud ha Bro, 1990, pp. 199-219

 

Documents audiovisuels en ligne

E.L., goémonier. Les  portraits, le  goémon, Lanildut (29),  Les résidences  documentaires  de la Cinémathèque de Bretagne [en ligne]

Les goémoniers, Lampaul-Plouarzel (29), documentaire de 1969, source : ORTF (coll. Vivre en France), L’Ouest en Mémoire, site de l’Ina.Fr [en ligne]

 

Médias

L’Express.fr, Spécial Bretagne. L’algue culinaire entre dans les moeurs, 04 août 2009 Journal des entreprises, Bretagne. Divergences autour de la culture d’algues , 1er février 2013

Ouest-France – entreprises.fr, Les métiers des algues ont poussé sur la côte bretonne ,14 mars 2012

Tébéo, Télé Bretagne Ouest, Le pioca, une algue qui fait vivre une économie ,24 septembre 2013

 

Documentation touristique

Agence de Développement du Pays des Abers – Côte des Légendes :

«Hent ar bezhin. La route des algues et des goémoniers » [en ligne]

Comité d’Animation de Lannilis

« Histoire des goémons et des goémoniers »[en ligne]

Mairie de Molène : « Goémon et récoltes à Molène autrefois. La vie sur les îlots de l’archipel » [en ligne]

Tourisme en Bretagne : « Découvrez l’univers des goémoniers, les moissonneurs de la mer. Au pays des Abers» [en ligne]

 

Blogs autour de la cuisine des algues

Pierrick Le Roux, cuisinier de l’algue (propose de nombreux ateliers) web : www.lacuisinedepierrick.com ou www.cuisineauxalgues.com

Manger la mer. Invitez la mer à votre table ! web : http://manger-la-mer.org/Goemoniers

Dates et lieu(x) de l’enquête : Nord Finistère, 2011-2013

Date de la fiche d’inventaire : novembre 2013

Nom des auteurs de la fiche : Léna Le Roux et Marion Rochard, chargées de mission pour les inventaires du PCI, Université de Bretagne Occidentale, Brest. Avec la participation des étudiantes du Master 2 en tourisme culturel : Noémie Audinet, Coralie Castel, Klervi Ily, Catherine Kerivel

Des mêmes auteurs : Fiches d’inventaire en ligne, site du Ministère de la Culture Usages et représentations du végétal en Bretagne (2012-2013) Usages et représentations du minéral en Bretagne (2009-2010)

Les illustrations ne sont pas libres de droit.